Le départ

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— Quel temps !

 

Zèfir lâcha un juron et essora le haut de son uniforme dans un soupir. L’orage les avait pris de court, mais ils avaient finalement réussi à atteindre le village le plus proche : une petite bourgade à l’orée des bois ardents qui se nommait Avernan. Anasteria n’avait pas vraiment vu beaucoup de villes. Islac ne possédait qu’une centaine d’habitants, et elle n’avait posé le pied à Vansac, la grande cité au nord de son village, qu’une seule fois. Certes lors de son voyage pour rejoindre l’académie, elle avait traversé en calèche de nombreux bourgs, mais c’était la première fois qu’elle pouvait se promener et contempler l’un d’eux. Rien ne lui rappelait Islac. Les maisons se composaient de pierre immaculée qui reflétait par moment une étrange teinte dorée. Les toits flamboyants apportaient de la couleur à l’ensemble. Et chaque rue qui constituait la bourgade était pavée de dalles plates qui alternaient entre le blanc pur et le gris pâle. Sur la grande place, les blasons rouges vifs de l’empire : une tour surmontée d’un cristal et entourée par deux feux de chaque côté se trouvait ballottée par les vents forts, mais leur mouvement captait l’attention d’Anasteria. En dépit de la pluie, leur couleur éclatante brillait comme un phare dans la nuit.

 

— Bienvenue voyageurs ! Sale temps hein ?

 

Anasteria n’avait pas vraiment l’habitude d’entendre l’accent chantant d’Ignis. La diversité chez les mages et dans l’académie noyait cet accent au milieu de ceux méridiens, de Lakrige, et autres plus locaux. Ici, dans cet endroit reculé, l’accent sonnait vraiment fort à ces oreilles en comparaison de celui d’Ivona. Mais Anasteria esquissa un sourire, cela lui changeait de l’intonation un peu bourrue de son village. Zèfir s’approcha du tenancier dans un soupir.

 

— Pardon pour l’eau, s’excusa-t-il.

— Pas de soucis messire. C’est un plaisir d’accueillir quelqu’un de votre rang.

 

Le tavernier était presque à deux doigts de s’incliner pour le saluer, qu’Anasteria jurât qu’il ne lui manquait que quelques centimètres pour embrasser ses pieds. Elle avait complètement oublié le statut social des mages, c’était des aristocrates. Chaque mage qui réussissait à sortir de l’académie se voyait remettre un titre de noblesse, si ce n’était déjà pas le cas en raison de son sang. L’empire leur en faisait cadeau pour leurs futurs services rendus pour les citoyens, et ceux en dépit de leurs origines. Zèfir ne semblait cependant pas à l’aise avec l’attitude du tenancier, et il bafouilla nerveusement.

 

— Oui. Hum. On voudrait manger quelque chose, et boire, en attendant que le temps se découvre.

 

Le tavernier jaugea du regard les trois adolescents en retrait, et leur adressa un sourire commercial.

 

— Messire, je ne suis pas sûr que la pluie cesse de sitôt. Mais je vous en prie. Prenez une table, et si vous voulez, j’ai encore quelques chambres de libres.

 

Zèfir hocha doucement de la tête et se dirigea vers une table vide tout en demandant aux adolescents de le suivre. Une fois arrivé près de la table, il se cogna le genou contre, et lâcha un juron dans une langue inconnue pour Anasteria avant de s’asseoir dans un soupir. Il se frotta le genou et regarda autour d’eux.

 

— Vous semblez tendu, magistère, remarqua Ivona en prenant place.

— Je hais la pluie, répondit-il. Je ne peux pas croire qu’il pleut assez pour que les carrioles ne puissent plus avancer. Je viens d’Elennan, là-bas, il fait beau toute l’année.

Ce n’est pas la pluie qui l’inquiète. Quelque chose se trame dans l’air.

 

Anasteria fronça les sourcils et regarda à son tour autour d’elle. La salle comportait encore deux tables vides, mais sinon la taverne était pleine à craquer de différents groupes de voyageurs et de locaux qui venaient se détendre. La musique couvrait la plupart des discussions qui ne parvenaient pas aux oreilles d’Anasteria, et un doux fumet réveilla une faim latente chez elle. Mais elle ne vit rien d’incroyable ni d’inhabituel dans cette scène. Mais lorsqu’elle jeta un coup d’œil à Ryse, ce dernier regardait autour de lui rapidement, tel un chien fou.

 

— Vous sentez quelque chose ? demanda finalement Anasteria à Zèfir.

 

Il esquissa un rictus, mais le tavernier approcha d’un pas vif, son sourire toujours ancré sur son visage.

 

— Alors messire et les jeunes, qu’est ce que ça sera ?

— Vous avez faim ? demanda Zèfir.

— Je meurs de faim, gémit Anasteria. Je pourrais manger n’importe quoi.

— Comme d’habitude, murmura Johan.

 

Ivona hocha doucement la tête pour montrer son accord avec lui, mais Anasteria décida de copieusement les ignorer. La scène déclencha un rire amusé chez Zèfir.

 

— J’imagine que vous avez du rôti à l’Iniscane, ça nous ira.

— Rien à boire ?

— Du vin pour moi, du jus pour les jeunes.

 

Le tavernier hocha la tête et tourna promptement les talons pour se diriger vers la cuisine. Zèfir passa sa main sur ses yeux et lâcha d’une petite voix.

 

— Je sens quelque chose, oui. Mais je ne sais pas quoi. Et ça m’énerve. Je n’ai pas l’habitude d’être à ce point perdu. J’espère que c’est juste la fatigue, je n’ai pas pris de repose depuis un moment.

 

Il ouvrit ses paupières et ses yeux flamboyants balayèrent rapidement et discrètement la scène.

 

— Et pourtant, je ne vois rien ici.

— C’est donc à ça que ça ressemble, murmura Anasteria. Je comprends un peu mieux la panique de Johan et d’Ivona.

— Vos yeux vous permettent de voir quoi, exactement ? demanda Ivona.

 

Ils redevinrent normaux aussitôt tandis que le tavernier apportait les boissons. Anasteria s’empressa de prendre une gorgée et grimaça en goutant l’acidité de la lutuce, cette baie rouge dont la plupart des Iniscans raffolent, sauf elle. Mais elle avait soif, et cela la tenait occupée pendant les explications de Zèfir.

 

— On peut remarquer les énergies qui parcourent ce monde. La magie. Vous pouvez la sentir, mais nous, on l’aperçoit passer devant nous. On la voit imprégner les feuilles et les animaux et tisser des liens entre tous. De même, on peut s’en servir pour voir les ombres immatérielles, et leurs énergies. C’est assez pratique quand on les traque. Et ça nous permet aussi de prévenir les failles avant qu’elles ne se manifestent.

— Logique, reprit Johan, si vous voyez les énergies s’accumuler…

— Normalement, je pourrais le faire ? demanda Anasteria.

— Tu l’as déjà fait, fit remarquer Ivona. Plus d’une fois.

— Oui, je sais ! Mais jamais de ma propre volonté.

 

Elle se déconcentra de la conversion lorsqu’elle aperçut Ryse planter un doigt immatériel dans sa boisson et le ressortir sans une seule goutte attrapée. Anasteria étouffa un rire en voyant son visage abattu. Elle ne manqua cependant pas le regard surpris de Zèfir.

 

— Tu es plutôt agitée comme personne, je me trompe, Anasteria ?

— C’est un peu l’euphémisme de l’année, lâcha Ivona.

— Je suis parfaitement calme ! rétorqua Anasteria. J’ai des difficultés de concentrations. Et par moment, je l’admets, j’ai du mal à me canaliser.

— Je l’aurai deviné en regardant ton esprit, souffla Zèfir. Réussir à fusionner avec lui, ne va pas être simple.

 

Le tavernier apporta finalement leurs repas, et Anasteria put enfin calmer le grondement dans son ventre. Le rôti prenait facilement la place de numéro deux dans ses plats préférés, et malheureusement, elle n’avait pas l’occasion d’en manger souvent à l’académie.

 

— Vous allez m’apprendre à fusionner avec lui ? demanda-t-elle entre deux bouchés.

— On va d’abord commencer doucement. On va se rendre à la capitale, et toi et Johan posséderez un petit logement. On a décidé de vous laisser tous les trois ensembles pour vos futures missions. Vous restez jeunes, et je pense que ce n’est pas une bonne idée de vous envoyer séparément.

 

Anasteria déglutit. L’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit, mais elle restait heureuse de savoir qu’elle pourrait rester avec ses deux amis.

 

— Et entre les missions, je t’entrainerais, reprit-il. D’abord, tu vas apprendre à contrôler tes yeux, et ensuite, on devra renforcer ton physique, vu à quel point ton esprit semble agité, le contenir va être… compliqué. Mais ne t’inquiète pas, ce n’est pas impossible.

— Et Emely ? Et le Patriarche ? demanda Anasteria.

— Ne t’en occupe pas, reprit Zèfir. Je sais que c’est dur, et qu’ils essayeront probablement de t’atteindre via tes rêves. Mais je me charge d’eux. Pour l’instant, tu dois devenir plus forte, et ensuite, on avisera.

 

Anasteria hocha doucement de la tête. Au moins, elle commençait à entrevoir une solution pour ses pouvoirs, et le sourire amical de Zèfir la rassura d’autant plus. Mais pour l’heure, ils devaient rejoindre la capitale, et la pluie semblait redoubler d’efforts dehors, si bien que le son des impacts des gouttes sur les fenêtres commençait à couvrir les bruits des discussions. Zèfir le remarqua, et ses épaules s’affaissèrent alors qu’il reprit une gorgée de vin.

 

— Quelque chose me dit que nous ne repartirons pas tout de suite. Je vais demander au tavernier des chambres.

 

 

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